2500 ANS D’HISTOIRE JUIVE DE TANGER : BRÈVE CHRONOLOGIE
par Jaime COHEN TOLEDANO - Tanger, Novembre 2019.
PHÉNICIENS et CARTHAGE
Depuis le IXe siècle avant J-C., Le Maroc, par sa position stratégique, sa richesse en poissons, ses minerais, attire les marchands PHÉNICIENS. Ils fondent la ville de Tanger. Des Hébreux, les accompagnent. Au VIIe siècle avant J-C., TINGIS Tanger devient un important port carthaginois. Des Hébreux arrivent au Maroc après la destruction du premier Temple en 586 avant J-C. PTOLÉMÉE 1ER (IIIe siècle avant J-C.) déporte 100.000 Juifs Palestiniens. Une partie se dirige vers l’Afrique du Nord. Ils côtoient des tribus Berbères qu’ils judaïsent.
ROME, VANDALES et BYZANCE
Les Romains détruisent Carthage (146 avant J-C.) et occupent l’Afrique du Nord. Des immigrants Juifs fuient l’Égypte Grecque antisémite et y sont attirés par la stabilité économique. Des Juifs Palestiniens arrivent après la destruction du deuxième Temple en 70 après J-C. En 325 après J-C. l’empereur Romain Constantin réunit le concile de Nicée qui édicte des mesures antisémites.
Au début du Vème siècle, les Vandales, venus d’Espagne conquièrent, l’Afrique du Nord. Ils gouvernent avec grande tolérance. Ce répit pour les Juifs sera de courte durée car au VIe siècle l’empereur Justinien chasse les Vandales. À nouveau les Juifs sont agressés : interdiction du Judaïsme, conversions forcées, transformation des Synagogues en Églises etc…
Au début du VIIe siècle arrivent les premiers Juifs Espagnols, expulsés par les Wisigoths
ISLAM
Les armées arabes arrivent à l’Atlantique marocain en 670. Une grande partie des tribus Juives Berbères se convertit à l’Islam. Plus de 10.000 Juifs marocains, en 711, accompagnent le général Tariq à la conquête de l’Espagne des Wisigoths. Dans un premier temps, les conquérants arabes traitèrent relativement bien les Juifs marocains « Dhimmis » tolérés. Les Juifs délaissent le Punique et adoptent la langue arabe.
Les Almohades (1147-1247) obligent les Juifs à se convertir et détruisent en grande partie les communautés Juives. Les sultans Mérinides (1248-1465) postérieurs appliquent, sans excès, le pacte d’OMAR « Dhimma ». À la fin du XIVe siècle, Tanger devient un port de corsaires.
PORTUGAIS ET ANGLAIS
Les Portugais s’emparent de Tanger en 1471. Une partie des Juifs fuit Tanger. Mais les Juifs, indispensables intermédiaires, reviennent rapidement. Le Sultan du Maroc en 1492, accepte de recevoir les expulsés d’Espagne « Megorachim ». Alors commence une dispute religieuse entre les Juifs Espagnols « Megorachim » avec les Juifs autochtones « Tochavim ». Cette controverse est principalement liée à l’abattage rituel ainsi qu’aux contrats de mariage. Une cinquantaine d’années plus tard les TOCHAVIM adopteront le rite des Megorachim.
Nous ne pouvons passer sous silence, la défaite en 1578, du roi du Portugal, SÉBASTIEN à la bataille de l’Oued al Makhazine des 3 Rois. Des Conversos de l’armée portugaise à Tanger, informèrent les Juifs que le Roi du Portugal avait l’intention de les bannir ou les tuer. Les Rabbins de Tanger le relatent dans une MEGHILA, lue jusqu'à nos jours dans les Synagogues de Juifs Tangérois.
En 1661, lors du mariage du Roi d’Angleterre Charles II avec l’infante du Portugal, Tanger fait partie de la dot. Les Anglais s’installent à Tanger. Ils expulsent les Juifs. Ceux-ci retourneront à Tanger 3 ans plus tard. Les Anglais agrandissent le port, renforcent les murailles et construisent d’énormes dépôts. Tanger devait devenir la place commerciale la plus importante de la Méditerranée. Mais en 1684, les Anglais abandonneront Tanger. Ils détruisent préalablement, le port, les dépôts et un maximum d’installations.
CONSULATS ET LÉGATIONS
Tanger, dirigée à nouveau par des Gouverneurs Marocains se repeuple très lentement. Quelques Juifs des environs, reviennent. En 1725, BENAMOR, un négociant Juif de Meknès, amène à Tanger 150 coreligionnaires : ce noyau se développera jusqu’au XXe siècle. En 1744, la Communauté Juive de Tanger reçoit un Dayan, Juge Rabbinique, qui dépend du Rabbinat de Tétouan.
En 1772 le Sultan expulse les Chrétiens de Tétouan. Tanger devient la ville des consulats et légations. Quelques Juifs y travaillent comme interprètes. Certains accèdent à un statut privilégie de Protégé d’une nation européenne « SEMSAL » : des tribunaux européens jugeront les différents entre un Juif SEMSAL et un Musulman.
En 1790-92, le Sultan Moulay Yazid persécute les Juifs. Au début du XIXe siècle Tanger compte 800 Juifs. Vers 1810, un petit nombre de Juifs de Tanger et de Tétouan, émigrent vers l’Amérique du Sud.
Le peintre Delacroix, en 1832, accompagne une ambassade française. Son passage est marqué par plusieurs esquisses et peintures (‘’ Les Noces Juives à Tanger ‘’).
En 1834, un voisin Musulman tombe amoureux d’une Juive tangéroise de 17 ans, Sol HACHUEL. Éconduit, il jure que Solica lui avait promis de se convertir. Les tribunaux marocains exigèrent la conversion de Sol. Malgré plusieurs ambassades auprès du Sultan, malgré les pétitions de toutes les communautés Juives du Maroc, malgré les supplications des Rabbins, Sol n’accepta pas de renier sa foi et fut exécutée à Fès. Les Tangérois se réfèrent à cette héroïne comme Sol la Tsadika.
En 1835, la population Juive de Tanger atteint 2.000 personnes. En 1844, la France ne tolère pas l’appui du Sultan à Abd el Kader en Algérie et bombarde Tanger. Les Juifs ne sont pas atteints. Les Rabbins le racontent dans la MEGHILA ‘’POURIM DE LAS BOMBAS’’ lue dans les Synagogues des Tangérois.
En 1853, Moché BENGIO Z’ L’, Dayan de Tanger et son fils le Rabbin Joseph BENGIO, venaient de décéder. Le Rabbin, Mordejay BENGIO Z’ L’, âgé de 28 ans, petit fils et fils de ceux-ci, fut choisi par Rebbi Yitzhak BENGUALID Z’ L’. Mordejay BENGIO Z’ L’, nommé alors, Dayan Rabbin Principal de Tanger, le restera jusqu’à sa mort en 1917. Il modernisa la ‘’Junta‘’ Comité Directeur de la Communauté, en s’inspirant des statuts de la Communauté Juive de Londres. Il représenta, avec grande intelligence, les Communautés Juives lors de la visite à Tanger du Kaiser Guillaume II en 1905 et durant la Conférence d’ Algesiras en 1906.
En 1860 l’Espagne occupe Tétouan pendant 2 ans. En 1862, après la signature d’un traité, l’Espagne se retire. Rebbi Yitzhak BENGUALID Z’L’ accepte l’offre, de créer la première école de l’Alliance Israélite Universelle AIU á Tétouan. Tanger suivra en 1865. Le niveau éducatif occidental permettra aux Juifs de travailler dans des entreprises Européennes. Au cours du XIXe siècle, les Juifs, dans leur majorité, vivaient dans des conditions misérables. Ceci poussa certains á s’expatrier en Algérie, en Amérique Latine, principalement vers le Brésil pour le commerce du caoutchouc. La langue Espagnole reste la langue maternelle des Juifs de Tanger.
La population Juive de Tanger, 3.500 personnes en 1867, s’accroit grâce à des migrations provenant principalement de Meknès et Tétouan.
En 1876 Moché NAHON, riche banquier, construit dans le plus pur style Andalou la Synagogue NAHON, une des plus belles du Maroc. La communauté Juive bien que comptant beaucoup d’indigents, continue de prospérer. La ‘’Junta’’, fait de son mieux pour aider les plus démunis et à payer leurs impôts.
Un banquier Juif tangérois Haïm BENCHIMOL fonde, en 1905, l’hôpital BENCHIMOL ouvert à tous, Juifs et non Juifs.
TANGER VILLE INTERNATIONALE
En 1906, sous médiation des États Unis a lieu la Conférence d’Algesiras. La France et l‘ Espagne s’occuperont de la police des ports marocains et de créer une banque d’État. Le Sultan Moulay Hafid fut obligé en 1912, d’accepter un traité de Protectorat. L’Espagne recevait le Nord du Maroc. Tanger est déclarée ville internationale. En 1923 la zone internationale de Tanger reçoit son Statut juridique. Elle sera administrée par les consuls de 7 pays européens. 9.000 Juifs y résident pour une population totale de 60000 âmes. Tanger devient une ville où tous les trafics et opérations bancaires sont possibles. Les Juifs parlent l’Espagnol, l’Arabe dialectal (Darija) ou la HAKETIA mélange d’Espagnol ancien, Hébreu et Darija. Grâce à l’Alliance Israelite, le plus grand nombre parle également le Français. Des Juifs récemment immigrés à Tanger du Rif ou de parties reculées du Maroc ne parlent que l’Arabe ou le Berbère (Amazigh).
En 1940 Franco, annexe Tanger au Protectorat Espagnol et autorise en 1941 l’ouverture d’un consulat Allemand. Les Écoles Françaises appliquent les lois antisémites françaises : le Lycée Français de Tanger se soumet au numerus clausus et expulse les élèves Juifs. Le Sultan Sidi Mohammed ben Youssef, futur Mohammed V, s’oppose à l’application au Maroc, des lois antisémites du gouvernement de Vichy. Le Sultan, invité à Casablanca, en janvier 1943 par Roosevelt et Churchill, est reçu avec tous les honneurs. Le mouvement nationaliste marocain parlera désormais d'indépendance du Maroc.
Tanger traverse la 2ème Guerre Mondiale avec quelques difficultés de ravitaillement, mais beaucoup mieux que les rationnements des zones Françaises ou Espagnoles. Les Espagnols se retirent de Tanger en 1945. Le Statut International de Tanger s’applique á nouveau. La création de l’État d’Israël en 1949 attire nombre de Juifs. 15.000 Juifs résident à Tanger en 1951.
Tanger est une Communauté très organisée. Grace à L’Alliance Israélite Universelle AIU, le taux de scolarisation des enfants Juifs de Tanger, en 1954, dépasse 80%. La Communauté Juive organise dans les écoles, des repas pour les enfants les plus pauvres ; des soins médicaux leurs sont également dispensés. En 1955, Tanger compte 17.000 Juifs sur un total de 150.000 habitants. La Communauté Juive dispose d’un Tribunal Rabbinique, de 17 Synagogues toutes ouvertes, d’une Hebra Kaddicha confrérie religieuse qui s’occupe des décès, de deux Cimetières, de Ajnasa Orahim qui loge les Rabbins de passage, d’un Hôpital ouvert aux Juifs et non Juifs, d’une maison de retraite pour vieux, ‘’el Asilo’’, de nombre de sociétés de Bienfaisance : OSE Œuvre de secours à l’ enfance, ’’la Comida de los Niños’’ qui réunissait les fonds pour les repas dans les écoles, ‘’Casa Cuna’’ qui aidait les femmes enceintes à accoucher, ‘’la Goutte de lait ‘’ pour aider les jeunes mères ’’ Malbich Haroumim ‘’ dons d’habits aux pauvres, etc…
INDÉPENDANCE DU MAROC TANGER PERD SES PRIVILÈGES
Dès l’année 1950, le Mouvement National Marocain initie une lutte armée dans tout le Maroc Français. Tanger sera le refuge de nombre de dirigeants nationalistes jusqu'à l’Indépendance en 1956. Tanger est alors rattachée au Maroc, mais la Charte Royale de Tanger maintient la liberté de change et de commerce. Nombre d’habitants décident de quitter la ville car l’économie locale s’est dégradée. Avec l’abrogation de la Charte Royale, Tanger perd en 1960 ses privilèges fiscaux et sa liberté économique. Malgré l’implantation d’une zone franche dans le port de Tanger, le marasme économique accélère l’exode des Juifs vers Israël, la France, l’Espagne, le Canada, le Venezuela. La Guerre des 6 jours, en 1967, crée un sentiment d’insécurité. Beaucoup de Juifs partent alors. La population Juive de Tanger décroît fortement : en 1968 = 4.000 Juifs, en 1970 = 250 juifs, en 2005 = 150 juifs.
TANGER AUJOURD’HUI Novembre 2019
Sa MAJESTÉ LE Roi Mohammed VI, succède à son Père en 1999. Ses décisions économiques éclairées sortent le Nord du Maroc d’une longue léthargie : Sa Majesté inaugure en 2007 l’énorme port de TANGER MED dont la capacité vient d’être triplée. Tanger devient une ville industrielle. Les premières automobiles de l’usine Renault de Tanger sortent en 2012. L’agglomération Tangéroise explose et dépasse 2.000.000 d’habitants. La population Juive néanmoins, ne suit pas cette tendance. Nous estimons en 2019 à moins de 100 personnes les membres de la Communauté Juive. Une seule Synagogue est encore fréquentée. Félicitons les réussites suivantes de deux membres de la Communauté : Mr Aaron ABIKZER et Mme Sonia COHEN.
La Synagogue NAHON avec un petit musée attenant est ouverte aux touristes de même que la Synagogue Rebbi Yosef LAREDO. La remarquable maison de retraite pour vieux, ‘’el Asilo’’ ou ‘’ la Résidence ’’ accueille un petit nombre de personnes âgées. Les 2 cimetières Juifs, fréquentés par des pèlerins Juifs, sont maintenant très bien entretenus. Le Casino Juif de Tanger est un restaurant CACHER qui reçoit des groupes de touristes.
Tous les Tangérois de souche gardent la nostalgie de leur ville et reviennent avec grand plaisir.
Notons, que la Constitution Marocaine de 2011 garantit la liberté de culte.